DIMANCHE DE PENTECOTE
Chers frères et sœurs,
Comme nous ce matin, les disciples sont réunis 50 jours après Pâques pour cette fête juive où l’on célébrait alors à la fois le printemps et les récoltes mais aussi l’alliance conclue par Dieu avec Noé (Gen.9) puis au cours de l’histoire d’Israël, le don de la Torah au Sinaï.
Comme le jour de Pâques, la Pentecôte va prendre une signification nouvelle pour les disciples et les premières communautés chrétiennes.
Pendant plusieurs siècles, le christianisme primitif ne fait pas de ce jour une fête particulière. C’est seulement vers l’an 400 que naît la Pentecôte où l’on célèbre spécifiquement le don de l’Esprit en même temps que se développe la première Eglise.
400 ans, c’est bien long pour donner toute sa place à ce récit imagé et coloré maintes fois représenté par de grands peintres. Mais c’est probablement aussi le temps nécessaire à l’Eglise pour prendre en compte l’action de l’Esprit Saint dans l’empire romain et dans le monde connu.
Relevons que la descente de l’Esprit ne se fait pas discrètement, entre un bruit qui vient du ciel, comme un violent coup de vent qui envahit toute la maison et des langues de feu qui se posent sur chaque disciple ; l’effusion du Saint Esprit n’a rien d’une expérience spirituelle au rabais.
Cette description dans laquelle le bruit et le feu qui vient du ciel se conjuguent n’est pas sans nous rappeler des théophanies, c’est-à-dire des manifestations de Dieu, telles qu’on peut les découvrir dans le premier Testament.
Ainsi, au moment où Dieu donne les tables de la loi à Moïse, le livre de l’Exode rapporte que « le Sinaï était tout fumant, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; la nuée s’élevait comme celle d’une fournaise et toute la montagne tremblait » (Ex 19/18)
Non chers frères et sœurs, la vie du croyant, du disciple, du chrétien n’a rien de fade, de morose ou de soporifique. Lorsque Dieu se manifeste en Esprit et en vérité, il fait appel à tous nos sens, la vue, l’ouïe qui, comme pour les témoins de la première Pentecôte vont nous permettre de vivre et revivre à nouveau ce don de Dieu.
Luc écrit qu’ « ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donner de s’exprimer »
Par-delà la maîtrise des langues dites « étrangères » auxquelles l’auteur du livres des Actes semble faire allusion, je trouve intéressant de réfléchir également aux langages adaptés à chacun pour partager et témoigner de cet Evangile qui nous fait vivre.
Sommes-nous capables de trouver les mots et le vocabulaire juste pour toucher les âmes et les cœurs au-delà du cercle restreint de nos communautés ?
Parler d’autres langues, ce n’est pas seulement pouvoir échanger et communiquer dans la langue maternelle d’une personne venue d’un pays lointain ; ce peut être aussi trouver le juste ton, les mots qui feront mouche avec mon voisin, un inconnu que je croise quotidiennement et qui lui aussi parle le français.
Seul l’Esprit Saint peut nous guider pour trouver un juste équilibre entre écoute et parole, entre silence, gestes et mots bienveillants qui vont toucher mon interlocuteur.
Le vrai miracle de la Pentecôte est, qu’effectivement les disciples deviennent audibles et compréhensibles par toutes les nations représentées par ces pèlerins qui, pour certains viennent de loin.
Vous savez comme moi que les textes du Nouveau Testament n’ont pas été écrit en français et qu’il a fallu une longue chaine de traducteurs, d’exégètes, d’interprètes et de spécialistes des Ecritures pour les amener jusqu’à nous, jusqu’à nos oreilles, jusqu’au plus profond de notre être.
Confisquée pendant des siècles par une Eglise catholique romaine qui ne permettait qu’à ses clercs qui maîtrisaient le latin d’y avoir accès, les réformateurs à la suite de Luther, puis de Calvin vont donner accès à l’Ecriture dans la langue maternelle de chacun.
En ce jour de Pentecôte 2023, recentrons-nous sur ce récit ; l’effusion de Saint Esprit, la dispersion et la propagation de la Parole parmi tous ces étrangers, l’adhésion au message évangélique, tout cela n’était pas gagné.
Il fallait des disciples solides, des témoins habités par leur mission, des serviteurs courageux, audacieux et zélés pour convertir à Christ ces juifs de la diaspora, ces prosélytes et ces étrangers.
Cela nécessitait aussi des disciples doués en langue, doués pour l’écoute, patients pour l’apprentissage et l’aide fraternelle.
Vous n’êtes pas sans savoir, chers frères et sœurs, qu’il y en effet un langage qui transcende les barrières linguistiques, culturelles et ethniques.
Le sourire, l’accueil, la bienveillance, les repas partagés fraternellement en disent parfois autant sinon plus que bien des discours.
Permettez-moi d’évoquer à ce propos un souvenir personnel. Il y a bien des années, je travaillais dans une scierie dans ce grand département d’outre-mer qu’est la Guyane. J’avais pour collègues des brésiliens, des haïtiens et des surinamiens, ces derniers venant de ce petit pays, le Surinam, séparé du département français par un grand fleuve.
Un collègue issu de ce pays était très silencieux. Je savais simplement qu’il venait de l’ethnie djuka. Les djukas forment un petit peuple et ont gardé une forte culture issue de leur origine africaine. Nous ne parlions pas la même langue.
Un jour vint où nous nous croisâmes en dehors du travail, peut-être chez un commerçant dans la petite ville proche ; et avec notre pauvre anglais, nous abordâmes le sujet de la foi, de notre foi en Christ. Et c’est alors que nous découvrîmes l’un l’autre qu’un seul et même Esprit nous animait, l’Esprit du Seigneur, l’Esprit de vérité, le Saint Esprit. Nous parlions la même langue, celle qui faisait de nous des frères par-delà nos origines et nos parcours si différents. Nous sommes devenus amis, nous partagions la même foi en ce Christ Sauveur.
Le pasteur et théologien Antoine Nouis écrit que l’ « Esprit nous invite à élargir notre vision de l’Eglise pour y intégrer tous les chrétiens de toutes les traditions et de toutes les nations ».
Il est sans doute là, le puissant message de la Pentecôte. L’Eglise ne se réduit pas à ma seule communauté avec ce qu’elle peut avoir de grand et de généreux mais aussi de fragile et de précaire. Mon Eglise, notre Eglise dépasse les frontières de Tonneins et de Marmande.
Elle bouscule mes limites, mes tentations d’autocensure, mes peurs et par l’action de l’Esprit Saint, elle me relie à toutes les communautés qui sont en son sein et bien au-delà comme j’ai pu le constater au cours du synode national le weekend dernier.
Etaient invités en effet à Noisy le Grand, des représentants de l’Eglise presbytérienne du Portugal, d’Espagne, de Grande Bretagne, des pasteurs vaudois venant d’Italie , des suisses et des représentants du protestantisme allemand. Leur présence joyeuse et active était là pour nous rappeler que l’Esprit souffle partout et que la Pentecôte souligne l’universalité de l’Evangile.
En ce jour de fête, nous nous rappelons que le Bonne Nouvelle incarnée par Jésus Christ nous autorise à déposer nos tentations de défaitisme, nos échecs apparents pour les transformer en un projet de vie et de salut à l’échelle planétaire.
50 jours après la tragédie du Golgotha, nous découvrons que le Dieu de Jésus-Christ tient toutes ses promesses. Loin de vouloir fondre l’humanité dans une pensée unique, une seule langue et une seule culture commune à tous, l’action de l’Esprit Saint s’opère sur tous les peuples dans leur irréductible diversité.
Nous sommes loin d’une humanité monochrome, au sein de laquelle tous les humains ne seraient que des clones, de pâles et de tristes copies de leurs semblables.
L’événement de Pentecôte ne fonde pas une communauté dans laquelle chacun devrait abandonner sa langue, sa culture et son identité. C’est au contraire une communauté élargie qui voit le jour au sein de laquelle Parthes, Mèdes et Elamites hier, chrétiens des cinq continents aujourd’hui peuvent chercher et trouver un chemin de fraternité sous la conduite de l’Esprit.
Reconnaissons que ce chemin n’est pas emprunté et suivi par tous.
Le conflit russo-ukrainien nous rappelle tragiquement que parler presque la même langue, avoir une histoire et une culture très proches, ne sont pas une garantie de paix et de relations fraternelles.
En ce jour de fête, prions pour la paix et pour que, comme l’écrit Luc dans ce récit de la Pentecôte, tous les peuples annoncent dans leurs langues les merveilles de Dieu.
Amen