PREDICATION POUR LE CULTE A NERAC DU 24 SEPTEMBRE 2023

Matthieu 20/ 1 à 16.

CULTE A NERAC DU 24 SEPTEMBRE 2023

Chers Amis,

Nous l’avons entendu maintes fois cette parabole des ouvriers de la 11ème heure. Nous la connaissons si bien que l’on pourrait peut-être être tentés de croire qu’elle n’a plus rien à nous apprendre.
N’est-elle pas un peu comme les fables de La Fontaine, lues, relues, ressassées au point que nous pensons en avoir tiré tous les enseignements ?
Et pourtant, comme toutes les paraboles, il s’y trouve probablement plusieurs niveaux de lecture. Nous avons également tous fait l’expérience déconcertante d’un poème, d’un texte biblique qui ne nous parlaient pas ou plus et qui, dans un jour particulier va résonner à nouveau en nous.
Et si ce jour, c’était aujourd’hui. Si notre réceptivité, nos sens, notre sensibilité et notre disponibilité spirituelle étaient en éveil en ce 24 septembre, nous permettant d’avoir un regard neuf sur le sens profond de cette histoire qui met en scène un maître, sa vigne et des ouvriers.
Jésus qui s’adresse à ses disciples, l’annonce dès le début de son propos : « Je vais vous parler du Royaume des cieux », et pour nous parler de ce Royaume, il utilise la technique parabolique.
Rappelons-nous qu’en grec « Parabolé » peut se traduire par comparaison, rapprochement. Dans le texte d’aujourd’hui, il y a une mise en parallèle entre ce mystérieux Royaume annoncé par Jésus et la réalité très concrète d’un maître qui embauche des ouvriers pour travailler sur sa vigne.
L’histoire parait simple et elle vient encore aujourd’hui heurter les logiques comptables, salariales et sociales.
Tout travail mérite salaire, certes mais si à travail égal, salaire égal, que dire lorsque l’on constate que ceux qui en ont fait le moins touchent la même somme que ceux qui ont peiné toute la journée ?
Faisons le constat que l’économie divine se joue des règles appliquées dans l’économie des hommes.
Les premiers Réformateurs, pour la plupart d’entre eux, ont commenté cette parabole. Au XVIème siècle, plusieurs y ont lu l’opposition entre deux logiques, celle du mérite et celle de la grâce.
Pour Luther, qui l’associe à la compréhension paulinienne du salut (Rom 3/21 à 24), la parabole raconte le salut de Dieu indépendamment des œuvres humaines. A travers cette parabole, il réaffirme que la récompense divine ne s’acquiert pas par la vérité de nos œuvres mais qu’elle est offerte indépendamment.
Pour Calvin, ce récit met surtout en lumière la liberté de Dieu à dispenser sa grâce. L’intention du Christ serait d’enseigner qu’il est en la puissance de Dieu de donner aux derniers appelés, une récompense qu’ils n’ont pas mérité.
Effectivement, la liberté de Dieu n’est réductible à aucune logique humaine. Nous ne sommes plus dans un processus purement rétributif, tant produit, tant travaillé, tant payé mais dans une toute autre vision, celle d’une grâce offerte sans limites, sans barrière ni frontières, comme Dieu veut la donner et à qui il veut.
La révolution théologique et spirituelle que fut la Réforme il y a 500 ans apporte des idées et des principes qui restent pertinents dans notre monde contemporain en 2023.
L’enseignement du Christ qui utilise la pédagogie douce et subtile des paraboles nous parle encore.
Comment ne pas penser effectivement aux exclus, aux sans-grades, aux journaliers qui, il n’y a pas si longtemps que cela, traversaient nos campagnes pour louer leurs bras et proposaient moyennant le gîte, le couvert et un modeste salaire leur force de travail ?
L’actualité douloureuse à Lampedusa, 8000 migrants qui débarquent sur un continent qui compte 500 millions d’habitants, ne manque pas de nous interroger également.
N’y-a-t-il pas parmi eux aussi de potentiels ouvriers de la 11ème heure, prêts à exécuter bien des tâches délaissées voir méprisées dans nos pays dits développés ? Est-il besoin de rappeler que le monde agricole cherche souvent désespérément du personnel pour les vendanges, la taille de la vigne, les récoltes de fraises et de bien des fruits et légumes ?
Mais revenons au sens premier de cette parabole et voyons si elle peut faire écho à nos préoccupations.
Je vous propose d’écouter les propos d’Isabelle Rivière, femme de lettre, née à la fin du XIXème siècle et sœur d’Alain Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes. Elle écrivait ceci au sujet de cette parabole narrée par Jésus :
« Réjouissons-nous donc, les incapables, les petits, les infirmes, les disgraciés, les épuisés, les maladroits, les ignorants, les vaincus, ceux qui sont trop laids pour qu’on les aime et celles qui n’étaient pas assez riches pour qu’on les épouse, ceux qui ne sont pas « doués » comme ceux qui n’ont rien su faire de leurs dons, tous ceux qui n’ont pas « réussi », tous ceux qui sont sans « situation », sans « espérances » et sans emploi, ceux que le monde a repoussé comme ceux qu’il a brisés, reprenons courage, reprenons vie ; si les hommes ne veulent pas ou ne veulent plus de nous, Dieu, lui, le Maître universel et le parfait Patron, Dieu nous veut du bien ».
C’est un formidable encouragement et un grand message d’espérance que nous pouvons trouver dans cette parabole. Elle nous déplace et avec les lunettes de la foi, nous fait entrevoir les réalités d’une fraternité bienveillante.
Sommes-nous bien placés pour juger de la prodigalité de Dieu ? Sommes-nous omniscients pour lire dans les cœurs de nos prochains, de nos collègues, de nos voisins, de l’étranger ?
Rappelons-nous que, dans le Royaume, le Maître, le Patron n’est pas n’importe quel patron et que l’on ne saurait juxtaposer les royaumes de ce monde et le règne de Dieu.
La force du langage en paraboles utilisé par Jésus est qu’il ne nous impose pas une vision fermée et verrouillée sur des certitudes absolues.
Les paraboles nous permettent au contraire d’ouvrir des portes, de nous questionner que ce soit dans le partage et la prière commune ou bien dans le silence et la méditation personnelle.
La parabole des ouvriers de la 11ème heure offre l’image d’un Royaume dont le Maître accueille chacun pour qu’il y trouve sa juste place.
A ceux qui, tristes et désespérés, lui disent : « Nous sommes sans travail car personne ne nous a embauchés », Dieu dit simplement : « pour vous aussi, il y a du travail dans ma vigne ».
Peu importe le cursus, le CV, ou les diplômes et expériences acquis, nous sommes tous au bénéfice d’une grâce imméritée qui nous est offerte de façon inconditionnelle.
Ne jalousons pas celui ou celle qui nous semble peu méritant et que Dieu comble comme il nous comble.
Réjouissons-nous avec ceux qui ont travaillé toute la journée sous le soleil comme avec ceux que le Maître invite à la fin de la journée. Il veut donner au dernier autant qu’au premier … j’ai envie de dire : et alors !
La justice rétributive de Dieu n’est pas celle qui a cours dans le monde.
Notre société qui valorise la puissance de travail, la réussite économique, une croissance forte, la recherche d’un statut social éminent fait assurément fausse route.
L’échelle de valeur proposée par Jésus dans son enseignement et dans notre Eglise ouvrent une autre voie.
Il se peut que cette parabole ait pu être perçue comme une provocation. Jésus aime susciter la réflexion, le questionnement et le débat. Il nous parle d’un Royaume dans lequel les hiérarchies humaines sont totalement bousculées.
Dans le Royaume évoqué dans la parabole, les règles, les lois et les modes de fonctionnement sont édictés par Dieu lui-même. L’enseignement du Christ nous prend à rebours et défie toutes les logiques humaines.
La réalité entrevue est celle d’un Dieu dont la bonté et la générosité sont sans limites, ce qui déplace notre regard sur les réalités sociales et les relations humaines dans notre monde.
Nous n’avons pas à être jaloux de sa bonté, ni à rechercher les places d’honneur ou la gloire.
Jésus conclue en effet sa parabole par ces quelques mots que nous pouvons entendre comme une promesse et un encouragement : « Bien des premiers seront derniers et beaucoup de derniers premiers »
Amen

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