Jean 6/1 à 15
Chers frères et sœurs,
Ce récit, ce signe, ce miracle, que l’on appelle parfois celui de « la multiplication des pains » est repris dans les 3 Evangiles synoptiques comme dans celui de Jean que nous venons d’écouter.
Un peu comme une séquence cinématographique, il comporte un cadre, un contexte, différents acteurs et personnages, un scénario, un début, un déroulement et une conclusion.
De très nombreux peintres des écoles italiennes comme le Tintoret ou espagnoles comme Herrera le Vieux, et bien d’autres, ont représenté cette scène, joyeuse, colorée et animée.
Plantons le décor : la traversée du lac de Tibériade et une grande foule qui suit Jésus et ses disciples jusque dans ces terres païennes.
Puis Jésus gravit une montagne, cette montagne qui joue un rôle si important dans les récits bibliques et évangéliques. Elle est en effet souvent le lieu d’un retrait du monde, d’une « retraite », mais aussi celui de la révélation et parfois même d’une théophanie, c’est-à-dire d’une rencontre avec Dieu.
Jésus veut-il se retirer du monde ? Veut-il échapper à sa notoriété grandissante, à ces foules qui désormais le suivent avec passion et dévotion ?
Pour cette fois, c’est encore loupé !
Malgré la traversée du lac, l’ascension de cette montagne, la foule est toujours là… 5000 hommes, 5000 personnes ; les femmes et les enfants sont-ils seulement comptés ?
C’est une multitude que l’on ne voit que très rarement dans nos temples, nos églises ou nos assemblées.
C’est plutôt lors des festivals musicaux comme Garorock à Marmande il y a un mois que l’on voit de pareils rassemblements. Je le sais, ma fille en est une habituée !
Mais là, pas de concerts, de groupes de rock ou de spectacle. Cette foule qui a suivi Jésus dans ce lieu isolé est tout simplement affamée, elle est affamée au sens propre comme au sens figuré.
Nous pouvons l’imaginer comme étant composée de gens simples, humbles et de modestes extractions.
Ces personnes ne doivent avoir que bien peu de ressources et d’atouts pour faire face aux épreuves et aux difficultés de la vie quotidienne ; maladies, deuils, combats journaliers pour avoir un minimum de nourriture remplissent des jours qui se succèdent les uns après les autres.
Cela peut faire écho à bien des vies d’aujourd’hui.
Solitude, dénuement, pauvreté, faim et soif de sens sont le lot de tant de nos contemporains.
N’est-ce pas notre rôle, certes difficile, de les mener vers celui qui nourrit, étanche toutes les soifs et guérit tant de peines et de souffrances ?
Cela peut impliquer une ascension, un cheminement, quitter ses certitudes, son train-train quotidien pour oser le témoignage, risquer des gestes d’entraide.
Chers frères et sœurs, donner n’est pas plus facile que recevoir.
A l’entraide protestante de notre ville Tonneins, où le petit miracle de la multiplication des pains et des poissons se reproduit chaque semaine, où les plus nécessiteux peuvent s’habiller, nous découvrons cette formidable attente d’une espérance et du besoin d’avoir des échanges.
Et notre Seigneur, Jésus-Christ se tourne vers nous et nous demande : « Où pourrions-nous acheter du pain pour donner à manger à toutes ces personnes ? »
Cette question, il la pose à chacun de nous : « Que peux-tu faire pour venir en aide à ton prochain ? » Et le Seigneur rajoute : « Certes, toi aussi tu n’es pas trop riche mais en raclant les fonds de tes poches, tu vas peut-être trouver quelques deniers que tu rajouteras aux petites pièces de tes frères et sœurs, fais-moi simplement confiance ».
Et André, frère de Simon-Pierre découvre dans cette foule désorientée et affamée un jeune garçon qui a 5 pains d’orge et 2 poissons.
Peut-être est-ce à nous aussi, disciples d’aujourd’hui de chercher au milieu des foules, des mains et des cœurs innocents prêts à donner et à partager.
Tous ceux et toutes celles qui ont l’expérience de l’engagement associatif et caritatif dans les entraides savent que par-delà les besoins matériels, il y a une faim insatiable de relations humaines vraies, d’écoute et de bienveillance.
Une expression très à la mode et que vous connaissez tous parle de « manger à tous les râteliers ». Il y a aujourd’hui toutes sortes de râteliers et toutes sortes de nourritures.
Dans le grand marché des spiritualités et des religions, vous savez comme moi que l’on trouve le meilleur comme le pire.
Nous chrétiens, disciples du Christ savons qu’avec lui, nous serons nourris à satiété ; n’est-il pas celui qui dit à ses amis et cette foule en attente ces quelques mots ? : « Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif ».
Le miracle, le signe que nous offre Jésus est résumé par ces quelques mots : « Jésus prit les pains et après avoir remercié Dieu, il les distribua à ceux qui étaient là. Il leur donna même du poisson autant qu’ils en voulaient ».
A propos de ce verset, Jean Calvin écrivait ceci :
« Le Christ montre ici clairement qu’il ne donne pas seulement la vie spirituelle au monde, mais que le Père l’a aussi ordonné pour nourrir les corps. Car l’abondance de toutes sortes de biens a été remise entre ses mains, afin que comme un canal, il la répande sur nous. C’est à tort que j’emploie ici le mot « canal », car il est plutôt la fontaine vive procédant du Père éternel. Bien que nous ne voyions pas tous les jours des miracles devant nos yeux, il n’empêche que le Christ ne déploie pas moins libéralement sa puissance pour nous nourrir. Bien qu’aujourd’hui il ne rassasie point 5000 hommes de cinq pains, il ne se lasse pas de repaître le monde entier d’une façon admirable ».
Chers frères et sœurs, cette course effrénée à l’accumulation de richesses matérielles de certains qui tranche sur la pauvreté, l’exclusion des circuits économiques et sociaux de tant d’autres ne peut que nous interroger quand nous les considérons au prisme de ce miracle dit « de la multiplication des pains ».
Je pensais, en rédigeant ma prédication, à ce merveilleux vers d’un poème de Jacques Prévert dans lequel il évoque « tous ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ».
Le Christ de l’Evangile de Marc a cette parole prophétique qui reste d’actualité : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous et toutes les fois que vous le voudrez, vous pourrez leur faire du bien, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ».
Famine, disette, conflits jetant sur les routes des millions de victimes affamées jalonnent l’histoire humaine jusqu’à aujourd’hui.
Les guerres actuelles nous montrent que la faim est une arme qui est toujours exploitée et utilisée sans vergogne et sans complexe par les belligérants.
Le pain de vie que nous offre le Christ n’est pas spécifiquement celui qui va remplir nos assiettes mais il est sans doute beaucoup plus que cela.
Il nous permet en effet d’assouvir notre faim et soif de justice, nos désirs les plus intimes et profonds de fraternité.
Et Christ, physiquement absent mais spirituellement présent, nous donne et nous donnera toujours la force, le courage et l’énergie nécessaire pour participer avec d’autres à la multiplication et à la distribution des pains et des poissons.
Ce qui, à vue humaine, parait totalement irréalisable, le devient à l’initiative du Seigneur.
Dans les 3 évangiles synoptiques, on trouve, à propos de ce signe, de ce miracle, cette injonction, cet ordre donné par Jésus à ses disciples : « Donnez-leur vous-même à manger ».
Oui, frères et sœurs, c’est à nous qu’incombe cette noble tâche.
Partager le pain, le pain de vie avec nos contemporains qui cherchent parfois si désespérément à assurer leurs besoins quotidiens, telle est notre mission.
Et il y aura des restes, du « rab » comme l’on dit parfois familièrement.
« Ramassez les morceaux qui restent afin que rien ne soit perdu » dit Jésus à ses disciples.
A nous aussi ce matin, Jésus nous appelle à participer au grand festin, au repas de fête où tous et toutes nous mangerons à satiété.
Et avec la foule, devant les merveilles qu’opère Jésus dans nos vies, nous pouvons dire :
« C’est vraiment lui le prophète qui devait venir dans le monde »
Amen