PREDICATION POUR LA CEREMONIE OECUMENIQUE

Lectures : Ezéchiel 33/1 et 7 à 9 – Luc 19/ 1 à 6

PREDICATION POUR LA CEREMONIE OECUMENIQUE DU RR ACAT DU 13 NOVEMBRE 2022

Chers amis acatiens,

Pourquoi avoir choisi ces deux passages, si différents et sans trop de liens en apparence ?

Le premier est rapporté par Ezéchiel, Ezéchiel le prophète envoyé à Babylone avec le peuple d’Israël, dont le nom signifie « Dieu fortifie ».

Dieu s’adresse directement à lui, le « fils d’homme », le « ben-adam », l’individu en opposition à « l’adam », terme qui désigne plutôt l’humanité toute entière.

« C’est donc toi, fils d’homme, que j’ai établi guetteur pour la maison d’Israël » lui dit Dieu. Le mot guetteur en hébreu a une connotation militaire. Il est la sentinelle, celui qui reste sur ses gardes, qui prévient si l’ennemi arrive. Du point de vue religieux, il est le prophète, le veilleur et sa fonction est effectivement proche d’une fonction traditionnellement révolue au gardien dans une armée. Il est là pour alerter des dangers qui peuvent surgir à tous moments.

Mais la fonction du prophète, en particulier dans le 1er testament est aussi de dénoncer, de débusquer les fautes individuelles et collectives qui mènent au chaos, à la destruction et à la mort.

Vous voyez chers amis, nous ne sommes pas si loin du rôle prophétique de l’ACAT ; rôle prophétique auprès et au loin qui nous voit alerter nos Eglises sur des crimes inqualifiables et abjectes et dénoncer en même temps l’indifférence, la passivité, voir la complicité des états, des pouvoirs en place, des groupes armés ou des lobbys économiques.

Les paroles que Dieu adresse à Ezéchiel s’adressent aussi à nous ; réécoutons-les : « Je t’ai établi guetteur pour la maison d’Israël ; tu écouteras la parole qui sort de ma bouche et tu les avertiras de ma part ».

Ce n’est pas seulement la maison d’Israël qui doit être alertée. Avec le Christ, ce sont tous les humains, tous ceux qui forment l’Eglise qui deviennent veilleurs.

Et parmi ces humains, se trouve justement Zachée, le collecteur d’impôts, homme infréquentable, honni, rejeté de par sa fonction qui le condamne aux yeux des autorités religieuses.

De surcroit, nous dit le texte, lorsque Jésus traverse la ville de Jéricho, Zachée caché au milieu de la foule ne peut le voir car il est de petite taille. Lui aussi est un guetteur, une sentinelle ; il est prêt à prendre des risques pour voir le maître et pourquoi pas entrer en contact avec Lui.

Il se hisse sur les branches d’un sycomore nous dit le texte, pour apercevoir le Seigneur. Nous également, à l’ACAT, nous apprenons à prendre de la hauteur, à ne pas rester collés à la réalité des faits, surtout quand elle est sordide et révoltante. Comme Zachée, nous avons besoin de nous élever par la prière, le partage d’informations pour bien saisir les enjeux, les interactions et les phénomènes complexes qui mènent à la pratique tortionnaire, aux violations des droits humains et aux crimes institutionnalisés.

Comme Ezéchiel, prophète/guetteur de l’ancienne alliance, comme Zachée, homme rejeté par ses contemporains mais disciple reconnu comme fils d’Abraham, nous exerçons notre droit à la vigilance, au témoignage et à la dénonciation des maux qui ne cessent de ronger l’humanité.

Comment ne pas penser aujourd’hui à toutes ses plaques et places inaugurées à la mémoire de la journaliste russe Anna Politkovskaïa ? A Agen dans le Lot et Garonne, ce fut en octobre 2012 que fut dévoilée une plaque en l’honneur de celle qui avait été assassinée 6 ans plus tôt. Il faut avoir lu « La Russie selon Poutine », sorti en 2003, ou « Tchétchénie, le déshonneur russe » en 2001 pour comprendre, découvrir ou redécouvrir combien cette journaliste avait pris la mesure du glacis totalitaire, de la chape de plomb que le régime poutinien imposait à la Russie, comme les risques qu’il faisait courir à ses voisins. Son courage et sa détermination nous touchent et nous impressionnent ; sa clairvoyance et sa lucidité nous obligent, nous chrétiens et acatiens à nous questionner, à chercher qui et où sont les vrais lanceurs d’alerte aujourd’hui, les vigiles, les veilleurs ?

Peut-être avons-nous besoin comme Zachée, d’oser gravir quelques étages, d’élargir notre horizon, pour trouver dans ce monde de folie des disciples, des serviteurs et des prophètes à soutenir, à aider, en prières en en actions.

Tendons l’oreille, écoutons les appels nombreux, insistants, ce que nous faisons à l’ACAT. Nous viennent à l’esprit et de façon lancinante les prières et les discours du docteur gynécologue et chirurgien Denis Mukwege.

Prix Nobel de la paix en 2018, son combat pour la dignité et la reconnaissance des violences à l’égard des populations de l’est de la RDC et plus particulièrement des femmes ne rencontre pas l’écho qu’il devrait avoir.

Ecoutons le docteur Mukwege, tel qu’il s’exprime dans son dernier livre « La force des femmes » :

« Certains de mes proches ont perdu la foi, incapables d’accepter l’idée qu’un Dieu charitable observe les massacres perpétrés au Congo depuis plus de 20 ans. Sans la foi, je sais quant à moi que je n’aurais pas pu continuer toutes ces années.

Je commence chaque journée par une prière qui en appelle aux valeurs que je juge essentielles : amour, compassion, humilité devant Dieu et les hommes, intégrité et solidarité. Je me rends à l’Eglise dès que j’ai la sensation de pouvoir assister à l’office en toute sécurité. Ma Bible est ma plus précieuse compagne de voyage » (La force des femmes, p.348)

Le Docteur Mukwege qui est également pasteur rajoute ceci :

« Dans mes prêches, je rappelle toujours que le meilleur endroit pour trouver Dieu, c’est en nous, dans nos pensées secrètes et notre conscience. Tout ce qui entoure ce sanctuaire intime est l’œuvre de l’humain, avec ses imperfections et ses vices. Pour moi, Dieu est au début et à la fin de tout, c’est une force universelle capable d’expliquer l’inexplicable, dont la perfection de la nature, la musique, l’art et ce qui nous pousse à aimer les autres et à prendre soin d’eux » (La force des femmes, P.349).

Le médecin congolais s’inscrit dans la lignée des veilleurs, des prophètes et des sentinelles que, bien plus modestement, nous sommes nous aussi appelés à être.

Nous puisons dans l’Ecriture force, conviction et foi pour inlassablement interpeller nos contemporains, sensibiliser et pousser à agir nos frères et sœurs chrétiens.

L’appel à la vigilance lancé par l’ACAT il y a un an et qui est le thème de ce weekend n’a pas pris une ride. Je crois que, dans une actualité nationale et internationale bousculée et parfois si tragique, il y a dans et hors des Eglises des Ezéchiel par la bouche desquels Dieu s’exprime. D’autres, tels Zachée, cherchent à s’élever pour entrevoir ce rabbi mystérieux qui proclame un message d’amour et de salut totalement orienté vers la vie.

Ce message révolutionnaire prend à rebours les longues diatribes et litanies identitaires de certains responsables politiques mais aussi parfois religieux que les médias relayent abondamment. Le Christ des Evangiles n’appartient plus à un peuple, ni à un temps, ni même à une religion. En délivrant un message de justice et d’amour destiné à tous, il rend le message du Dieu d’Israël véritablement universel. Le philosophe et académicien agenais Michel Serres disait que l’universel, c’est, ce qui bien qu’unique, verse dans le tout.

Le choix de l’ACAT, et de ses fondatrices a été et reste un combat intégral face aux innombrables et permanentes violations des droits de l’homme qui ont lieu aux 4 coins de la planète.

Il ne saurait être question pour nous, vous le savez bien, de faire le choix de ne défendre que des victimes de persécutions religieuses, anti-chrétiennes par exemple, ou bien de nous concentrer sur un type de régime politique inhumain.

A l’universalité de la souffrance et de l’injustice répond l’universalité de notre combat. C’est bien d’ailleurs le sens profond de la DUDH adoptée il y a plus de 75 ans par l’assemblée générale de l’ONU. Pas un état, pas un régime, pas un pays ne devrait tolérer en son sein des crimes et des violations flagrantes des droits humains.

En relisant l’histoire de Zachée, telle qu’on peut la découvrir dans l’Evangile de Luc, on peut penser également que Jésus s’adresse aussi à nous aujourd’hui ; il nous appelle chacun par notre prénom et nous dit : « Descends vite ; il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison ».

Le lutte, le combat que nous menons à l’ACAT se fait pour et avec le Christ. A chaque mobilisation, à chaque campagne, à chaque initiative, il s’invite et donne tout son sens à notre action.

C’est bien dans notre maison commune, cet oïkumene, terme grec qui désigne la terre habitée, l’univers que Jésus s’invite.

Comme Zachée, comme les premiers disciples, comme la nuée de témoins, nous savons que nous ne pouvons et ne pourrons rien faire sans notre Seigneur Jésus le Christ.

Le pasteur et théologien Michel Bertrand rappelait lors du Vivr’ACAT 2021 que le premier défenseur des droits de l’homme, c’est Dieu, ce Dieu qui se manifeste en la personne du Christ présent et au centre du Nouveau Testament.

Est-il besoin de rappeler que Jésus est bouleversé, ému de compassion, littéralement « pris aux entrailles » face aux souffrances et aux injustices qu’il croise. Rejet de l’étranger, mépris du plus faible, condamnation de l’exclu ou de celui qui est jugé impur suscitent chez lui une empathie, un amour et un profond désir de justice.

Dieu ne nous abandonne pas à nos difficiles combats, à ce que l’on pourrait à tord considérer comme des fatalités ; torture, peine de mort, violences de toutes sortes, ne doit pas produire en nous le fatalisme.

Dieu, en Jésus, reste présent spirituellement à nos côtés. Jean l’évangéliste parle de l’envoi du Paraclet, autre nom du St Esprit qui peut aussi être traduit par défenseur, avocat qui nous soutient dans notre action.

Que la certitude de cette présence soit notre force pour continuer notre beau combat et le faire connaitre au plus grand nombre.

AMEN

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