PREDICATION POUR LE DIMANCHE 13 OCTOBRE 2024 A TONNEINS

Marc 10/17 à 3

Chers frères et sœurs,

Ce récit de Marc met en scène un homme que ses richesses ne semblent pas satisfaire. Un dialogue va s’instaurer avec Jésus, un dialogue non dénué d’ambiguïtés :

« Bon maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle ? » demande-t-il au Seigneur. Cette envie de s’attirer les bonnes grâces de Jésus en le complimentant m’a fait penser à la célèbre fable de Jean de la Fontaine, celle du corbeau et du renard quand ce dernier s’adressant à l’oiseau perché lui dit ainsi : « Hé ! bonjour Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! » Vous connaissez la suite…

Mais Jésus ne tombe pas dans le piège grossier de la flagornerie. Il interroge avec bienveillance cet homme qui se croit irréprochable. Il respecte en effet scrupuleusement les commandements hérités de ses pères.

Il ne parait pas très éloigné d’un sentiment d’autosatisfaction, à l’image de ces pharisiens, de ces spécialistes de la loi qui mettent un point d’honneur à respecter scrupuleusement les préceptes de la Torah.

Pourtant, nous comprenons qu’il ressent un vide, un creux, un manque que toutes ses richesses ne peuvent combler.

Ne nous ressemble-t-il pas un peu, cet homme qui souhaite s’attirer les bonnes grâces de Dieu et qui semble cocher toutes les cases du bon croyant ?

Que sommes-nous prêts à lâcher, à donner pour accéder au Royaume ?

Ce texte nous dit que Jésus regarde cet homme avec amour, comme il regarde chacun -d’entre nous. Il ne fait pas notre procès, il ne vient pas pour nous condamner. Sa demande est cependant radicale :

« Va, vends ce que tu as et donne l’argent aux pauvres ; ainsi tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ».

Nous ne sommes pas prêts, frères et sœurs, à obéir à la lettre à une telle exigence. Mais pour autant, c’est peut-être un appel à ne pas nous laisser enfermé, emprisonné par nos biens et par nos richesses.

Pour Jésus, ce qui définit la personne n’est pas « ce qu’il a » mais « ce qu’il est ».

Il se peut que cet homme que le Maître se prend à aimer, affirme en premier lieu son identité par ses avoirs, ses biens nombreux qui lui assurent une existence privilégiée.

Les disciples qui ont assisté à cette rencontre et qui ont tout quitté pour suivre Jésus, sont eux aussi troublés.

Comme eux, nous suivons et servons ce Christ qui illumine nos vies et leur donne du sens mais comme l’homme riche, des obstacles et des freins nous empêchent souvent de répondre pleinement à son appel.

Je suis frappé de constater combien le goût du pouvoir, le goût des richesses fait vite tomber les hommes dans des addictions délétères, voir morbides.

Le candidat aux élections américaines Donald Trump et son soutien indéfectible Elon Musk peuvent illustrer cela. L’ancien président américain a beau brandir sa Bible à chaque occasion et chaque meeting, à proclamer sa foi en permanence quand il ne prétend pas être lui-même le Messie attendu, il semble bien loin du disciple qui se charge humblement de sa croix pour suivre son maître.

Jésus évoque, non sans humour, les difficultés pour chacun d’accéder au Royaume.

« Il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour une personne riche d’entrer dans le règne de Dieu ».

Alors, pour nous, ici ce matin, mission impossible ?

Certains commentateurs ont suggéré que derrière cette image un peu extraordinaire, Jésus ne souhaitait pas exclure la plupart de ses disciples et de ceux qui le suivent.

Il aurait peut-être existé à Jérusalem une « Porte de l’Aiguille » particulièrement basse qui obligeait à se baisser pour la franchir.

Le Seigneur nous rappelle avant toute chose ce matin, que nous ne sommes pas les maîtres de notre salut.

Les richesses matérielles, les qualités et les dons spirituels que l’on peut avoir, l’orgueil ou la suffisance sont autant d’obstacles qui font barrage à ceux qui souhaitent accéder au Royaume.

Aux disciples interloqués, à nous ce matin, Jésus rappelle simplement que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu.

Cette vérité rejoint le principe central de la Réforme qui affirme le salut par la grâce seule, indépendamment de nos œuvres et de nos actions.

Chers amis, pas besoin d’acrobaties, d’exercice de contorsionniste pour arriver à nous faufiler dans un trou de souris, à l’image du chameau qui passe par le chas d’une aiguille.

Ne nous désespérons pas de notre impuissance, notre impossibilité patente à découvrir le Royaume et à y entrer en comptant sur nos propres forces.

Même celles et ceux qui ont lâché beaucoup, comme les disciples s’interrogent : « Ecoute, nous avons tout quitté pour te suivre » lui dit Pierre.

Jésus se fait alors bienveillant, réconfortant mais aussi, grave.

Celui qui passera du « lâcher-prise » à la confiance en Dieu sera récompensé au centuple.

Le célèbre mystique rhénan, Maître Eckart écrivait à propos de ces paroles, ceci :

« J’ose dire que celui qui, pour Dieu et pour la Bonté, laisse son père et sa mère, son frère et sa soeur ou quoi que ce soit, reçoit le centuple de deux façons. La première est que son père, sa mère, son frère et sa sœur deviennent cent fois plus chers qu’ils ne l’étaient auparavant. La seconde est que non seulement cent parmi les êtres humains, mais tous les êtres humains, du seul fait qu’ils sont des êtres humains et des gens, lui deviennent incomparablement plus chers que ne lui sont naturellement chers son père, sa mère ou son frère »

Ceux parmi nous qui ont fait l’expérience d’un éloignement, d’une séparation longue avec leur proche ont pu mesurer combien les liens d’affection et l’amour pour eux en sont décuplés.

Cela m’a rappelé un proverbe touareg entendu il y a bien des années lors d’un voyage au Sahara et qui dit : « Eloignez vos tentes et rapprochez vos cœurs ».

Christ ne nous dit-il pas ce matin qu’à trop nous recroqueviller sur nous-mêmes, un cercle familial restreint, sur nos biens et nos richesses, nous risquons de passer à côté de la porte d’entrée du Royaume ?

Ainsi, frères et sœurs, en devenant membre de l’Eglise, en lui donnant du temps, de notre argent, en nous engageant pour ses œuvres, diaconats, associations caritatives, c’est souvent des moments en moins que nous consacrons à nos tous proches, à notre famille, à des activités de détente et de plaisir.

Mais rien de cela n’est perdu et l’on se découvre des fratries, des amis et une famille spirituelle considérablement élargie.

La vie de disciple, nous rappelle Jésus, est faite de ruptures, de départs et de retours et il rajoute à l’intention de ses compagnons que pourront surgir aussi des persécutions.

Etre disciple, cela dérange, cela importune. Les valeurs prônées par la société, la réussite professionnelle, salaires et enrichissements importants, pouvoir et reconnaissance par les gens haut-placés, vont à l’encontre du chemin proposé par Jésus.

Suivre un Messie qui s’est fait le serviteur des plus petits, des exclus et qui s’est abaissé jusqu’à donner sa vie à la croix… quel anachronisme et quel manque de jugeotte, pense beaucoup aujourd’hui.

Pour certains, cela va engendrer de la colère et de de la violence : Quoi ? Des Eglises et des chrétiens qui refusent d’adhérer aux valeurs communes et qui donnent de leur temps et de leur argent pour un monde plus juste et plus fraternel ?

En 2024 et en France, pas, ou plutôt, plus de persécutions religieuses. Mais être disciples, membre de l’Eglise, impliqué en même temps dans la société, étonne, interroge et parfois même suscite des réactions d’agressivité.

Quand nos richesses nous aveuglent, quand nos liens familiaux ou amicaux deviennent des entraves qui nous emprisonnent et nous empêchent de nous tourner vers les autres, alors nous sommes comme cet homme riche qui finit par s’en aller tout tristement.

Quand nous croyons ne pas perdre le temps à en donner pour les autres, pour le prochain, quand nous puisons de notre argent pour l’offrir à ceux qui en ont moins, pour en donner à l’Eglise, alors Jésus nous rappelle que nous recevrons tout au centuple.

Ne nous enfermons pas trop vite dans un sentiment d’autosatisfaction. Même les plus proches disciples se voient souvent « recadrer » par leur maître.

Entre ceux qui se disputent pour savoir lequel d’entre eux aura la meilleure place dans la Royaume et ceux qui refusent d’accepter l’abaissement de Jésus à la croix, ils nous ressemblent beaucoup, n’est-ce pas ?

Mais, malgré nous, malgré nos limites et nos défauts, Christ nous rappelle à nouveau ce matin que ses amis, ses disciples, ceux qui font sa volonté ici-bas, dans le monde à venir, recevront la vie éternelle.

Amen

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